Rassemblement citoyen contre un projet de mine à Fontrieu

Un citoyen ordinaire à Sablayrolles

Travaillant sur le territoire de la commune de Fontrieu, j’ai eu vent qu’une mine pourrait ouvrir. Curieux, j’ai demandé à des habitants ce qu’il en était, mais peu de réponses satisfaisantes à mon goût, hormis la consultation de la demande de permis exclusif de recherche (PERM) sur le site du ministère de l’économie que j’ai parcourue et qui me laissait bien dubitatif… Que penser ? Pour ou contre ? Cependant, certains éléments du dossier me semblaient bizarre :

« Russell Brooks LTD, société de droit de Guernesey […], Tungstène du Narbonnais, SAS au capital de 1000€ […], une société qui développera une activité minière dans le respect de la réglementation (sécurité, environnement, emploi…) […], Michael Nunn, investisseur et philanthrope […], des sud-africains qui viennent investir dans notre petit bout de campagne… ! Etc… »

En tant que citoyen français et domicilié dans ce territoire, j’observais que cela bougeait sur la commune, des panneaux sympathiques, hostiles mais sans être agressifs, fleurissaient.

Une des nombreuses pancartes visibles sur le secteur


Je ne pouvais en rester là et souhaitais une information contradictoire au PERM, aussi dimanche 1er septembre 2019 je décidais de me rendre à la journée organisée par Stopmines81.

Météo pas terrible, risque de pluie, qu’à cela ne tienne, à 8h j’enfourche mon VTT et je me rends à Sablayrolles, bien décidé à passer la journée en quête d’informations.

Vers 8h50, j’arrive sur les lieux, maison du maire fermée ! Que de voitures stationnées autour du hameau ! Les gendarmes sont présents dans leur voiture et observent le ballet des randonneurs !

Accueil chaleureux, je trouve des connaissances que je ne pensais pas voir là ! Inscription pour la randonnée et c’est parti après une courte présentation d’Alain, personnage engagé sur plusieurs causes dans les Monts de Lacaune.

Dernières consignes avant de départ de la randonnée

Une randonnée (5 ou 10 km) qui fait le tour du site du PERM, bien balisée, avec de nombreux accompagnateurs locaux signalés par leur gilet fluo qui distillent des explications sur le futur site, des panneaux originaux en bois mentionnant des lieux remarquables. J’estime entre 100 et 200 personnes les personnes qui participent. Des paysages magnifiques à couper le souffle, comme je les aime dans ce petit coin de France ; je pense parfois tout au long de la randonnée à une future carrière s’installant là avec l’industrie qui s’en suit et tout détruire, j’ai un pincement au cœur !

Une organisation sans faille, avec le goûter à mi-chemin, le retour en calèche ou voiture vers le point de départ pour certains de ceux qui ne peuvent continuer.

Arrivée des 10 km de randonnée par les hauts de Sablayrolles (vue superbe sur le hameau et sur le lieu de la manifestation), des producteurs locaux se sont installés sur le champ réservé à ce rassemblement, et bientôt bien d’autres personnes viennent gonfler les effectifs de la randonnée pour se restaurer, se renseigner et échanger. Ambiance calme et bon enfant. Le public continue à affluer.

Marché de producteurs locaux

Après m’être restauré je profite de temps libre avant les conférences pour aller voir l’exposition pédagogique. Là encore, je suis très agréablement surpris :

  • panneaux bien faits, différents thèmes principaux abordés comme l’exploitation, eaux, nuisances, faune et flore, emploi…
  • facilité de lecture ;
  • extraits documentés ;
  • photos et schémas compréhensibles ;
  • très didactique !

Je suis captivé et commence vraiment à prendre conscience de la problématique et de l’horreur à venir si le PERM débouchait sur un permis d’exploitation !

Le nombre de personnes présentes est à son maximum, je laisse mon obole dans une urne pour que cette information-là continue.

Vient le temps des conférences. Les différents intervenants, qu’ils soient locaux, régionaux ou de France, sont parfaitement choisis.

Les intervenants répondent aux questions

Je me régale d’entendre des personnes qui ont réfléchi, se sont investis dans des démarches complexes, défendent des valeurs de respect et de citoyenneté, savent faire passer des messages simples avec humour et sérieux. Bien sûr, le temps imparti est souvent dépassé mais le public est silencieux, concentré et attentif. Tous les intervenants ne pourront s’exprimer mais j’ai retenu l’essentiel et j’ai envie d’en savoir plus. Je trouve dommage que nos élus ne viennent pas à ce type de discussion, ils devraient être présents pour entendre tous les points de vue avant de se faire leur propre opinion !

Encore un peu de temps pour une collation et discuter avec certaines personnes avant d’enfourcher mon vélo pour le retour, gonflé à bloc pour informer autour de moi sur cette catastrophe annoncée si cela est décidé en haut lieu.

J’ai vraiment passé un agréable dimanche tant par le contenu, l’ambiance, la convivialité et l’information me permettant d’affiner mes connaissances et mes opinions. La pluie n’est pas venue et clou du spectacle le soleil était présent pour les débats. Pour moi, j’ai effectué ce jour-là une démarche citoyenne.

Le Point Info

Présents à Sablayrolles dès 7h30, les premiers organisateurs mirent en place leur exposition à l’abri des chapiteaux. L’idée de ces onze panneaux d’informations avait été émise seulement une poignée de semaines à l’avance par plusieurs membres de l’association Stop Mines 81. S’en était suivi une course contre la montre ; recherche documentaire, extraction des informations pertinentes, création et impression des maquettes. Un travail collaboratif fait avec beaucoup de plaisir et de bonne humeur en témoignent les quatre protagonistes.

Accueillis dès 8h30, les premiers visiteurs purent prendre connaissance des différents thèmes abordés sur cette exposition.

L’historique du projet, en 1968 une série de forages avait été réalisée par le BRGM et ELF AQUITAINE, dès lors la présence de tungstène fut confirmé. L’État accorda une concession d’exploitation. Finalement, le bénéficiaire SNEA, face à l’effondrement du cours du minerai, renonça à l’exploitation en 1985.

L’écologie, à ce moment là, n’étant pas la priorité, Dame Nature fut une des rares à se réjouir de cette décision. Mais qu’importe, loin de se laisser aller les habitants des monts de Lacaune eurent l’intelligence de développer des emplois durables. Différentes filières en harmonie avec l’environnement virent le jour, agriculture, apiculture, fromagerie, eaux de sources… Le développement du tourisme vert compléta ce tableau. Quelle joie pour les randonneurs de découvrir la richesse de la faune et la flore présente sur cette zone, libellules, martin-pêcheurs, salamandres, menthe odorante, millepertuis, cresson des fontaines et encore pleins d’autres. Une symbiose entre l’homme et la nature s’était créée.

Verdure et sobriété ne faisant pas rêver tous les hommes, une nouvelle demande de permis de recherche minière a été déposée en août 2018 par la société Tungstène du Narbonnais (Filiale d’une société off shore Russel-Brooks LTD).

Les conséquences irréversibles d’une exploitation minière anéantiraient toutes autres activités sur le territoire. Contrairement à ce qu’on voudrait nous faire croire, il n’existe pas de mines vertes. Eau + mines = pollutions inévitables. De l’eau sur la commune de Fontrieu il n’en manque pas d’où son nom ;« Font » pour fontaine et « rieu » pour ruisseau. Alors, d’une mine nous n’en voudrons pas, laissons notre pierre telle qu’elle est, pour ne pas polluer nos eaux. Gardons notre air pur pour notre bonne santé et laissons la terre à nos paysans.

Trois des onze panneaux présentés

Sobre, mais pas prêt à retourner à l’age de pierre, alors pourquoi pas évoquer le recyclage, sur le dernier panneau ! Retenons un seul chiffre : 75 % du tungstène n’est pas collecté après son usage. Et pourtant les procédés de recyclage sont maîtrisés et efficaces et beaucoup moins impactants pour la nature.

Observations et questions à l’issue de la visite, témoignèrent de l’attention qu’avait réellement été apportée à la lecture des panneaux. Une d’entre elles : « Vous vous contredisez dans 2 panneaux » nous prit de cours. Nous cherchâmes à comprendre. L’explication était simple « la diminution du PH de l’eau et l’augmentation de l’acidité de l’eau » expriment la même chose bien que les 2 qualificatifs utilisés soient contraires.

En fin de journée, au point info, environ 70 nouvelles adhésions furent comptabilisées. Une première victoire, l’information était passée et serait grandement partagée.

La randonnée pédestre

A 9h30 était donné le départ de la randonnée. Ce n’est pas moins de 120 participants qui s’élancèrent à l’assaut de ce parcours de 10 km. L’itinéraire qui couvrait le périmètre visé par le PERM avait été soigneusement repéré quelques semaines auparavant, testé et jalonné par des panneaux en bois gravé marquant les points d’intérêts.

Un des magnifiques panneaux jalonnant la randonnée

Une première halte permettait aux randonneurs de découvrir le rucher de Laurent. Ses abeilles bénéficient d’une exposition ensoleillée et d’un environnement de qualité et produisent un miel d’une grande finesse de goût. Un « crottoir » à genette peut être observé non loin de là témoignant de la présence d’une faune protégée, indispensable à la biodiversité.

Ensuite, le tracé passait par la Fedial où l’exploration et l’exploitation du minerai de tungstène se feraient en profondeur.

Passage aux abords de La Fédial (Prochaine entrée de mine ? )

Une seconde halte aux forages de Pessols était l’occasion de donner des explications sur les sources et les captages d’eau potable ainsi que sur la zone humide répertoriée par le réseau SAGNE.

Au bout de 5 km d’un parcours ponctué de panoramas superbes, de terres agricoles conduites en agriculture biologique comme à la Métairie Haute, une pause ravitaillement était la bienvenue et les participants pouvaient se rafraichir de l’eau offerte par Fontaine de la Reine et se régaler des gâteaux cuisinés par les organisateurs.

Une calèche tirée par deux magnifiques chevaux de trait, conduite par Jean-Luc et Eloi, était proposée pour reconduire à Sablayrolles celles et ceux qui souhaitaient marcher 5 km seulement.

Retour en calèche vers Sablayrolles

Pour les infatigables, la seconde partie de la randonnée les menait à Fumade, site convoité pour une exploration et exploitation à ciel ouvert.

Cet itinéraire se terminait sur la zone entre Fumade et Sablayrolles où rien n’a encore été exploré et qui pourrait constituer des gisements potentiels.

De retour à Sablayrolles, les producteurs locaux installés près de chapiteaux proposaient des mets délicieux pour requinquer les marcheurs.

La balade naturaliste

10h30 : nous sommes une vingtaine de participants motivés pour découvrir la zone humide de Pessols et le milieu humide entre Cadoul et Fumade. Un covoiturage depuis Sablayrolles nous amène à la zone humide de Pessols, repertoriée comme telle par le réseau SAGNE.

Cresson et menthe à Pessols

Christian Conrad, naturaliste de l’association APIFERA, nous explique ce qu’est une zone humide. Pour obtenir la qualification de zone humide, plusieurs critères cumulatifs doivent être remplis. Outre un arrêté de 2008 complété par une circulaire de 2010, le Conseil d’État a précisé le 22 février 2017 « qu’une zone humide ne peut être caractérisée, lorsque de la végétation y existe, que par la présence simultanée de sols habituellement inondés ou gorgés d’eau et, pendant au moins une partie de l’année, de plantes hygrophiles ».

Longtemps considérées comme des endroits insalubres ou dangereux, 50 % des zones humides ont disparu en 50 ans en France (drainage, comblement, abandon en zone de montagne car le pâturage traditionnel était devenu peu rentable). On connaît maintenant le rôle majeur des zones humides qu’il est capital de préserver.

Ce sont des réservoirs d’eau, elles alimentent les nappes souterraines. Elles jouent un rôle tampon lors des périodes de crues (en ralentissant l’écoulement de l’eau) ou de sécheresse (en retenant l’eau en période de fortes pluies et en la relachant en été (soutien d’étiage)), un rôle de filtre anti-pollution (dépollution par les plantes), elles piègent du Co² en emprisonnant le carbone des plantes.

Ce sont des réservoirs de biodiversité qui renferment plus de 10% des espèces rares et menacées en offrant refuges, alimentation et repos pour la faune sauvage.

Elles ont également un rôle économique capital en constituant des réserves de fourrage pour les agriculteurs de montagne lors des étés secs, en soutenant l’étiage des cours d’eau, en offrant des paysages superbes valorisées au travers des activités touristiques. Ce sont enfin de lieux de vie très riches qui sont aussi des supports d’activités pédagogiques et scientifiques.

Après ces explications préliminaires, nous herborisons avec quelques plantes hygrophiles : menthe aquatique, menthe verte, menthe sylvestre, cresson de fontaine, dorine à feuilles opposées … nous observons tout à loisir les nombreuses argiopes frelon, criquets et sauterelles ainsi qu’une plume de Circaète Jean Le Blanc.

Petit focus sur tous les arbres qui forment la ripisylve.

L’exploration minière suivie d’une exploitation sur de tels milieux auraient des conséquences catastrophiques sur cet environnement riche en biodiversité ! Chacun en est conscient.

Il est déjà passé midi, et nous n’avons pas le temps de nous rendre sur le milieu humide de Cadoul/Fumade. Nous rejoignons les autres participants au marché des producteurs.

Pause déjeuner

Interventions et table ronde

En ce début d’après-midi, les tablées et autres groupes qui s’étaient formés ici et là pour les repas virent leur début de digestion troublée par une réorganisation logistique : une agora de fortune fut formée de manière aussi rapide qu’improvisée à l’aide de tous les bancs disponibles et de quelques tables.

Le temps des prises de paroles arrivait donc et le brouhaha de la foule qui finissait de s’installer s’estompa pour laisser planer une ambiance un peu étrange où flottaient calme et attention au milieu de quelques regards interrogatifs.

L’auditoire attentif

Qu’est-ce qui allait donc être raconté ?

Que les histoires d’une mine propre ne sont que des fables. Que les histoires de mines finissent mal…

La prise de parole fut amorcée par des membres du collectif, qui brossèrent à grands traits le tableau : de la mécanique administrative liée aux procédures minières, des groupes et acteurs étrangers domiciliés opportunément ‘off-shore’, de leur société en carton montée pour l’occasion à Paris, du nez-rouge ‘exploration’ posé sur le visage de l’exploitation envisagée.

S’en suit une séquence questions-réponses, questions tirées d’une boite laissée au public depuis le début de la journée. On retrouve là des grands thèmes abordés dans nos affiches, gravitant autour des impacts sur la nature et ses ressources.

Les problématiques de l’eau, en terme d’amenuisement des ressources disponibles, des pollutions diffuses et chroniques et des catastrophes potentielles. Les atteintes et les saccages de milieux naturels remarquables et précieux, sur fond de diminution de la biodiversité. Le stockage des déchets miniers et leurs conséquences sur les générations à venir.

Échanges et réponses aux questions

Les micros furent ensuite amenés dans la foule, vers ceux qui avaient remarque ou question, qui sur le refus des propriétaires des opérations de forage, qui sur les impacts sur les activités agricoles, qui sur les autres ressources potentielles convoitées, qui sur les moyens de s’opposer…

S’opposer en poésie !

« Ici, partout, ailleurs »
saisit les enjeux avec émotion et gravité,
« Question de carottes et de navets… »clame haut et fort que nous avons déjà tout.

Ce que nous ne voulons pas.
Ce que d’autres ont déjà eu.

Salsigne et la vallée de l’Orbiel, non loin de nous, derrière le Pic de Nore. « Gratte-papier » de nous expliquer que les richesses s’en sont allées, laissant derrière de lents poisons, pour des générations. Que partout le même scénario tragique se produit dès qu’il y a mine.

StopMines23 qui lutte contre un permis de recherche déjà accordé depuis six années, dix fois grand comme celui qui nous pend au nez. StopMines23 que le niveau de mobilisation de cette journée a galvanisé.

Salau en Ariège, qui vit avec ses collines de stériles pleines d’arsenic et d’amiante, qui a récemment réussi à faire annuler le permis de recherche pour la réouverture de la mine. Mais qui sait que sa lutte devra bientôt reprendre (l’État faisant appel de la décision d’annulation du Tribunal Administratif de Toulouse).

Et enfin l’association APIFERA a exposé ses activités, rappelé le contexte particulier local avec ses précieuses zones humides, et attiré l’attention sur la nécessité impérieuse de préserver ces joyaux de vie dans un monde qui voit la biodiversité fondre comme neige au soleil.

Le public n’avait pas vu passer les trois heures qui se sont ponctuées par les remerciements aux uns et aux autres, pour leur participation et le déroulement autant bon enfant que studieux de cette riche et instructive journée de mobilisation.

Contributeurs

Textes : Isabelle Debrus, Sabine Robert, Daniel Debrus, Sébastien Delliaux et Yves Chéron

Photos : APIFERA, Sidobre Debout, Alain Hébrard, Gilles Béziat, Guillaume Galibert,